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jeudi 30 août 2012

Pour une cohérence de programmation musicale

par Henri

Dans Par les villages Peter Handke écrit : « Joue le jeu, menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n’aie pas d’intention. Evite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire [...] Ne décide qu’enthousiasmé. Echoue avec tranquillité. Surtout aie du temps, et fais des détours. Laisse-toi distraire. Mets-toi pour ainsi dire en congé. »

Pour une cohérence de programmation musicale

La musique sur la radio hertzienne, enjeu de relations économiques fortes entre l’industrie discographique et les stations, est communément négligée. En France, la pratique relègue souvent celle-ci au rang de « robinet » (les stations musicales du secteur commercial, certaines du tiers secteur) ou de « remplissage » (les stations généralistes) et la recherche ne s’est intéressée que très peu à ce sujet pourtant riche(1).
Car la musique est partout présente dans notre quotidien, elle rythme les temps forts de notre existence, elle résonne du particulier au collectif. C’est une forme artistique et une force d’évocation importante qui, en radio, induit un travail spécifique de programmation musicale.
M’appuyant sur quelques années d’expérience comme programmateur musical au sein de la radio associative Jet FM (Nantes, France) depuis 1994, je propose ici, en quelques idées, d’affirmer un sens à la diffusion musicale radiophonique en partant d’un postulat de liberté artistique que garantirait le programmateur.

Pour moi la musique à la radio fait sens tout autant que le rédactionnel et pour cela le rapport entre le fond et la forme est important : la radio se doit d’harmoniser son contenu à sa mise en forme.
Un morceau choisi et amené au bon moment en dit aussi long qu’un développement rédactionnel. Dans le cas d’enchaînements de plusieurs morceaux ceux-ci deviennent narratifs, comme de petits récits suggestifs et subjectifs autour d’une impression, une thématique, ne serait-ce que l’humeur du jour du programmateur qui propose cette suite.
Le programmateur musical serait donc l’organe respiratoire de la radio, celui qui y insuffle vie et couleur, parfois plus que les rédacteurs, sa subjectivité est liée à l’identité de la station. On peut reconnaître l’originalité, la qualité d’une radio à sa musique. Elle en est le reflet artistique, presque la vitrine de l’échoppe.
Par exemple les radios du service public français ont un son commun mais une esthétique musicale spécifique, plus ou moins affinée, identifiable à l’oreille. Les radios associatives où se distinguent les réseaux Férarock (Fédération des radios associatives indépendantes d’obédiences rock) et Iastar (Fédération des Radios Campus) oeuvrent bien souvent sur un terrain commun de découvertes culturelles, d’alternatives musicales, mais chacune avec son esthétique propre. Leurs différences, leurs identités fortes, sont les points communs de ces radios.
Pour évoquer la dichotomie presque caricaturale qui oppose souvent réseaux commerciaux et tiers secteur je propose une analogie avec l’industrie du disque telle que décrite par le sociologue Gérôme Guibert : « Les labels indépendants sont devenus les départements recherche et développement des grands groupes. »(2).
De même les radios associatives sont souvent le lieu des tentatives les plus poussées, amenant vers le public des artistes plus tard suivis par les gros réseaux qui bien souvent les utiliseront comme une plus-value artistique, consommables et renouvelables à l’envi.
En amont, il est nécessaire que le programmateur musical ne se contente pas d’écouter les disques reçus des services de presse de l’industrie du disque, une sélection trop restrictive et assujettie à un système marchand bien souvent à l’affût de « coup médiatique ». La curiosité, la recherche, la cohérence et surtout l’exigence sont ici fondamentales.
La diversité des ressources musicales par quelque moyen que ce soit (magasins, brocantes, Internet, prêts divers…) permet la diversité des propositions musicales, incluant alors tous ces disques ne bénéficiant pas d’efforts marketing. C’est un des principes premiers de ce métier : amener à la connaissance de l’auditeur la pluralité de l’offre musicale. Car si l’industrie du disque est passagèrement (et exagérément) en crise au mitant de ces années 2000, la production artistique est, elle, plus foisonnante que jamais. Dans les deux cas « c’est la faute à la technologie », pourrait-on dire, schématiquement. Il semble donc plus que nécessaire d’abolir la culture du « single radio », des rotations intensives qui annihilent la diversité culturelle. Les effets de mode étant versatiles, il est dangereux d’y appuyer une programmation.
Les formats radios ont été imposés par le système marchand -à la base une contrainte technique qui détermine la durée de l’enregistrement- et les notions subjectives relatives au « goût de l’auditeur » n’existent que par leurs contextes socioculturels.
Les « formats standards » généralisés dans les radios occidentales (les fameuses trois minutes et quelques secondes au-delà desquelles un morceau ennuie l’auditeur) se sont imposés comme référence dans les années 1980, ne s’inspirant que de la pop music et du rock. Un genre certes universellement partagé même si les formats musicaux culturellement très différents rencontrés, par exemple, dans le monde oriental et asiatique laissent supposer un bémol à cette standardisation internationale.
Dans les années 1970 en Europe on entendait volontiers sur les radios généralistes des musiques qu’on juge difficiles par leur durée ou leur tonalité de nos jours. Il n’est pas rare de trouver chez nombre d’enfants du "Baby Boom", et pas forcement des « spécialistes », quelques vinyles de Pierre Henry (la Messe pour le Temps Présent ) ou de Keith Jarrett (le Köln Concert )… pas exactement la plus standardisée des variétés. C’est que les radios et leurs programmateurs oeuvraient à la découverte et la pluralité musicale, en prenaient le « risque » -un mot disparu au profit d’une frilosité musicale et culturelle entretenue par l’aliénation à l’audience.
L’exemple de John Peel sur la BBC-Radio1 va dans ce sens de découverte, de curiosité, de pugnacité, sur un réseau international et généraliste. S’il est emblématique c’est par cette porosité qui l’amena à franchir la barrière du simple vecteur (diffuseur) pour devancer la production, dénicher de nouveaux talents et les amener, par le biais de son émission et de ses fameuses Peel Sessions à la reconnaissance. Il faudrait dire un mot ici de l’incroyable son brut, sans fioritures, de ces sessions enregistrées « live », qui n’ont donc pas vieilli : un groupe inconnu joue quelques titres qui seront diffusé ensuite dans le John Peel Show. Certains sont passés largement à la postérité, d’autres sont restés à jamais dans l’ombre. Mais il y a ce pied d’égalité primordial : l’enthousiasme sans retenue du programmateur pour ces groupes qu’il a conviés, sans distinction de genre.
John Peel est l’exemple presque messianique du programmateur musical engagé, défricheur, il accompagne le psychédélisme, prévoit le Punk, devance la Techno, il influe directement sur les courants musicaux populaires et reste curieux comme jamais jusqu’au bout, le 25 octobre 2004(3).

Être curieux en tout (format, durée, contenu) et susciter cette curiosité en retour chez l’auditeur me semble indispensable au travail du programmateur.
Les contraintes si elles existent ne devraient être dictées par aucun élément extérieur aléatoire (mesures d’audience, sondages, panels, pressions commerciales ou toute autre supposition sur les goûts du public) afin de permettre plus de liberté, offrir plus de « propositions » possibles aux auditeurs, des propositions qui ne sont pas « la vérité » mais « une vérité possible ». L’objectivité est un leurre, en programmation comme ailleurs.
Munie de deux oreilles (pour la plupart d’entre nous), nous pouvons potentiellement tout entendre et donc accepter les choix d’une programmation musicale réalisée avec pertinence.
Et la diversité culturelle est aussi politique : « Jusqu’en 1950 aux Etats-Unis les salles de spectacles, les radios ou les films étaient contrôlés par un seul groupe d’éditeurs. Ils partageaient alors une esthétique commune qui alliait music-hall, chansons d’amour, mélodies, rythmes et thèmes du jazz. Tout un pan de la musique noire américaine (Rythm’n’Blues et soul music) ainsi que les musiques d’origine latino-américaine étaient systématiquement écartés »(4). Les fusions récentes de grands groupes industriels du divertissement mettent à jour une problématique similaire.

Installer une cohérence de programmation musicale à la radio revient à afficher une volonté claire, quelques principes de base, un cahier des charges qui permet de définir quelques orientations esthétiques et philosophiques : c’est la « politique d’antenne » ou « politique de programmation », le mot n’est pas innocent. Cette volonté forte, cette identité va déterminer les choix musicaux de la station et le travail du programmateur. À mon sens, une programmation musicale cohérente est le reflet artistique de la radio, elle ne peut être indifférente au reste de l’antenne.
Pour les émissions non musicales, comme on travaille leurs contenus, les « pauses » ou « respirations » musicales qui les émaillent doivent être mises en lien, pensées, affichées comme un propos à part entière. Lors d’émissions thématiques la musique est un écho : si par exemple on évoque la seconde guerre mondiale les respirations musicales puiseront dans les productions de l’époque ou développeront le thème. Une émission peut également se composer de choix musicaux sélectionnés par le ou les invités, de morceaux joués par les personnes ou artistes présentés même si ceux-ci ne sont pas musiciens professionnels (par exemple un cinéaste ou un auteur de bande dessinée peut être également musicien à ses heures).
Pour les émissions musicales ou programmations musicales libres, la cohérence se fait par la forme. Soit en développant des styles musicaux précis correspondant aux orientations de la station, soit par des thématiques précises ou des orientations musicales plus subtiles à définir, reposant sur le son, la production d’un disque, son intérêt artistique (c’est le cas de nombreuses radios indépendantes ayant leur propre style, identifiable mais délicat à définir).
Il est pour moi important de travailler dans la fluidité du son et pour se faire de réaliser mes programmations en enchaînements continus, directement depuis la table de mixage sans passer par un ordinateur qui trop souvent formate le son et la diffusion proposant de simples « fade in/fade out » pour tous les morceaux, là où chacun nécessite à mon sens une réflexion particulière à son placement dans la programmation. Cette continuité serait l’écrin, le morceau isolé étant le bijou. Il s’opère alors un intéressant jeu de contenant/contenu. Métaphoriquement cela induit l’idée que l’individualité n’existe que dans la masse, la masse n’étant elle que la somme d’individualités.
Alors peut commencer le sens de la programmation, quelques idées se glissent, une complicité se tisse avec l’auditeur, comme en clin d’oeil.

J’ai pour ma part développé depuis quelques années un système de contraintes oulipiennes. En effet, calquant l’Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo)(5) et son modèle de jeux littéraires appliquant des règles formelles presque mathématiques à l’écriture pour mieux s’en affranchir, et partant du principe qu’un jeu sur la forme peut faire sens sur le fond, j’applique à la programmation musicale certaines potentialités. En tant que département de l’Ou Mu Po (Ouvroir de Musique Potentielle), ce serait l’Ouvroir de Programmation Potentielle (Ou Pro Po) ou encore l’Ouvroir d’Enchaînements Potentiels (Ou En Po) qui décline la musique à la radio comme de petits récits esthétiques ou thématiques. La fluidité reste le maître mot de ce travail.
Quelques exemples : Faire se suivre un morceau et sa reprise dans une autre interprétation (Alabama Song de Kurt Weil & Berthold Brecht puis la version qu’en donnèrent les Doors ou David Bowie ou The Young Gods). Traquer un « sample » et débusquer son origine (Sure Shot des Beastie Boys suivi de sa matrice Howling for Judy de Jeremy Steig). Explorer un thème sur une suite de morceaux (la pluie, la nourriture, la politique…). Enchaîner volontairement plusieurs styles musicaux (classique, traditionnel, rock, jazz, électronique…) en cherchant une cohérence de son, de rythme. Proposer une suite autour d’un instrument ou d’un son qui en serait le fil conducteur. Faire un palindrome (A->B->C->B->A) de morceaux ou d’artistes pour former une boucle. N’enchaîner que des morceaux comportant le même chiffre ou le même mot…
Autant de jeux/contraintes possibles qui éveillent la curiosité de l’auditeur attentif et permet au programmateur de proposer, au moins dans la forme, une manière de création.
Il est pour moi important qu’une programmation musicale ne se réduise pas seulement à la diffusion de quelques morceaux mais devienne une pièce sonore à part entière, avec ses variations, son sens. Le programmateur est cette éponge qui se laisse traverser par les musiques qu’il s’approprie et renvoie à l’auditeur une écoute sensible - ce mot est important : Sensible c’est à la fois utiliser ses sens, être en éveil, curieux et faire sens, amener un point de vue, une lecture. Comme un théâtre ou une salle de concert, une radio ne peut se passer de son programmateur. L’alternative, la pluralité musicale et culturelle passent par la radio, medium de la suggestion, de l’imagination et de l’évocation par définition. Nombre de créateurs sonores l’ont bien compris qui œuvrent régulièrement à des projets artistiques forts, résidences et créations prenant pour objet et lieu la radio(6).

« Pour moi une vie sans musique ça n’aurait pas grand sens », Nicolas Bouvier (interview sur la Radio Suisse Romande, 1996)

Henri Landré, programmateur musical sur Jet fm.
Texte écrit pour un colloque universitaire sur la radio à Sienne (Italie) en juillet 2004, révisé en janvier 2008 pour la revue Mediamorphose.

Notes :
(1)Lire à ce propos Paul Long « The primary code : The meanings of John Peel, radio and popular music » The Radio Journal, International studies in broadcast & audio media 4.1, 2 & 3, pp. 25-48 (2006)

(2)Gérôme Guibert, Les nouveaux courants musicaux (éd. Mélanie Séteun, 1998, p.23)

(3)Pour une approche plus complète de John Peel lire The Radio Journal, International studies in broadcast & audio media 4.1, 2 & 3, (2006) qui consacre 4 articles au célèbre programmateur. Et bien sûr écouter les Peel Sessions (éditées par le label Strange Fruit)

(4)Mathias Bideaux, Convention de Qualité dans les labels indépendants des musiques issues du rock, Faculté d’Aix-Marseille, sept. 2003

(5)Fondé en novembre 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais et décliné depuis en divers Ou X Po : Peinture, Théâtre, Bande Dessinée, Cuisine et récemment Radio (écouter à ce sujet les Ou Ra Po de arteradio.com).

(6) Ecouter par exemple les résidences de Radio Grenouille à Marseille, Resonance FM à Londres (une radio entièrement tenue par des créateurs sonores) ou les belles créations en ligne de silenceradio.org

Remerciements : Jean-Jacques Cheval, Laurent Gago, Annaïck Domergue, Monique Landré

Une : Les Artistes Heureux







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